Départ
Tonique et concentrée, elle tient fermement ses deux mains sur le volant. Quatre heures qu’elle roule sans faire de pause. Laissant le bleu méditerranéen s’estomper dans le rétroviseur, elle avale les kilomètres. Guettant la moindre métamorphose du paysage, elle admire le défilé des couleurs, écoute un versant ombragé discuter avec une colline ensoleillée. Pendant qu’au fond de cette route dans la vallée, elle tire un trait sur son passé.
Complice de son évasion, sa petite voiture est remplie jusqu’au plafond. Chargée du nécessaire pour tout recommencer.
La végétation rocailleuse persiste dans le panorama en quelques soubresauts provençaux. Ses promesses de douceur ne la trompent pas. L’amitié qu’elle propose est sèche comme le climat qui l’aide à pousser.
Elle continue de rouler. Continue de s’en aller. Si elle devait choisir un nouveau prénom, ce serait détermination.
Alors que le Vercors se devine dans le fond du décor, elle s’accorde une dernière pensée pour ce qu’elle laisse derrière, et choisit de n’en emporter que le bien. Revenir vers soi, enfin.
La deuxième partie du voyage se déroule comme sur un nuage. Un dernier virage et elles sont là. Grandes bosses silencieuses qui se dressent face à elle comme pour la défier de venir y construire la vie qu’elle a imaginée.
Lorsque le mot « Annecy » apparaît, elle sourit et lit « mon pays ».
Elle oublie l’encombrement de l’habitacle, le rendez-vous manqué pour récupérer des clés, l’engourdissement de ses pieds, et court à sa première urgence : se présenter à ce lac d’une grande bonté. Rassasiée par tant de beauté, elle revient sur ses pas, prête à reprendre le fil des tâches à effectuer.
Un passant la bouscule alors. Elle se retourne machinalement, pensant accueillir les excuses de l’impotent. Soudain son corps se fige. Le passant est en réalité une passante. Une dame âgée à la démarche saccadée. Elle reconnaîtrait parmi des milliers cette silhouette robuste, cette chevelure blanche si dense, davantage dressée sur le crâne que coiffée, et cette allure empressée.
Mais grand-mère, que fais-tu en dehors du cimetière ?