Eden
Je n’aime pas les cathédrales.
Encore moins les cathédrales gothiques. Je suis forcée de les admirer sur un plan esthétique. Les gargouilles, prouesses expressives qui nous ont toujours à l’œil, ou la finesse de la dentelle de pierres ornant les décors extérieurs. Pourtant, à l’intérieur de ce ventre minéral, je ne me sens pas… accueillie. Non, jamais vraiment accueillie dans une cathédrale.
Tout juste tolérée. Minuscule et glacée, écrasée par ces hauteurs froides et résonnantes. Et si c’est blasphème, tant pis. Tous ces tombeaux, toutes ces écritures romaines et colonnes en marbre me tirent davantage vers les ténèbres que la lumière, pourtant promise en ces lieux sacrés.
J’en suis là de mes réflexions quand je m’apprête à contourner la quatrième chapelle de l’aile gauche de l’édifice, anticipant une lâche fuite de cette visite guidée par une porte dérobée. Je parviens à franchir l’angle et me dirige vers l’objet de ma délivrance quand une vision divine me retient.
Quelques rayons de soleil concentrés en faisceaux percent les vitraux de la façade latérale et dévoilent de leur lueur un escalier sublime, bâti de pierres finement détaillées. Il mène à intervalles de deux paliers imposants vers une porte en bois lourd, dont la teinte avec le temps, a pris celle de la pierre. Pour quelle raison une telle mise en scène enchantée conduirait-elle à une porte fermée, si ce n’est pour mieux annoncer la beauté, l’inédit, le secret ?
Cette vaste église qui me semblait si austère prend vie sous mes yeux et grouille de petites gens qui s’affairent. Qui construisent, qui nettoient, qui portent, qui organisent. Un homme à la démarche fluide passe devant moi dans une robe ceinturée à la taille, tenant précieusement à la main ce que je devine être un manuscrit. Il se dirige vers l’escalier. Je m’engage à sa suite et gravit les marches dans ses pas. La porte se rapproche. Elle ne fait plus grise mine, son bois rayonne de santé. Ce qui semblait grinçant coulisse désormais facilement sous la poussée de l’individu qui me précède sans me prêter attention. Je me faufile à l‘intérieur le cœur battant.
Des livres, des ouvrages, des rouleaux, des plumes, des encriers noircis, du matériel de reliure, des feuilles vierges au papier enflé. Un jardin d’Eden de la littérature, de la lecture, de l’écriture. Mais pas cristallisé comme dans un musée. Ou alors un musée bien vivant, avec des vrais humains dedans. Qui n’ont pas à justifier de cette occupation, ancrée dans la modernité d’un autre temps.
Je m’approche d’un vieil homme au crâne luisant, et murmure :
– Où suis-je ?
Il lève les yeux de son grimoire et me répond simplement :
– Au début de l’histoire.